« Promenons-nous dans les bois… »

Photo: PABvision.com – 2009, Pierre-Alain Bourquin


 

La cohabitation, d’après le dictionnaire Larousse, est le fait de « vivre ensemble ». Si depuis des années, nous entendons, à travers les discours politiques, les médias et l’enseignement que le « vivre ensemble » est un fondement essentiel dans notre société, il y a bien une cohabitation dont on parle moins car elle ne concerne principalement qu’une partie du Sud-Est de la France : la cohabitation de l’homme avec le loup !

Pourquoi s’intéresser à cette cohabitation si sensible ? Si loin du vivre ensemble en société ? Parce qu’il est intéressant de comprendre que l’homme doit savoir coexister non seulement en société mais également avec la nature qu’il l’entoure.  Avec le loup, les éleveurs et les bergers doivent s’adapter à ce prédateur, ce qui engendre des coûts financiers et de travail supplémentaires parfois difficiles.

Entre la colère des éleveurs, les scandales autour de saccages de locaux d’associations de protection, les lois anti-loups, les idées reçues sur l’animal, il est parfois difficile de s’y retrouver.

Victime de son image des contes et légendes
Le loup a cette mauvaise réputation qui lui colle au pelage depuis plusieurs siècles. Tout le monde connait plus ou moins ces contes qui mettent en scène un loup méchant mangeur d’hommes ou d’enfants. « Pierre et le loup », la « Chèvre de Monsieur Séguin », « Le Petit Chaperon rouge », … ne sont que des exemples parmi d’autres.

Pourtant, le loup est un animal tout à fait fascinant, social et craintif de l’homme. Chassant en meute, le loup préfère largement choisir une proie malade ou faible. Et de fait, il assure un équilibre dans l’écosystème dans lequel il vit : régulation du surplus de population, baisse des épidémies, …

La population du loup, en France, est estimée à environ 300 individus. La reproduction dépend de la taille de la meute et de la qualité de leur habitat (densité de proie, superficie du territoire, …) : grossièrement, plus il y a de loups dans une meute, plus le nombre de proies à chasser augmente, et plus le territoire doit être étendu. C’est une question d’équilibre et de survie entre le loup et son habitat ! Généralement, en France, les meutes ne dépassent pas une dizaine d’individus.

Une perte du savoir-faire face aux loups
Alors, bien sûr, le loup fait des dégâts dans les élevages puisqu’il lui arrive de s’approcher des troupeaux en pâturage. En 2015, environ 9 000 ovins auraient été tués par le loup. Chaque année, un quota de loups à abattre est donc défini : en 2015-2016, 36 loups peuvent être abattus (13 ont déjà été tués depuis le début des autorisations).

Le loup représente une contrainte pour l’élevage, il est difficile de le nier. Cependant, des solutions pour éviter que ces derniers ne s’approchent des troupeaux. Et il faut savoir réapprendre à vivre avec le loup. Comme cet animal avait disparu de notre pays depuis des années, les éleveurs ont perdu l’habitude de mettre en place une protection autour des leurs cheptels.

Une attaque de loups a de répercussions économiques (pour l’éleveur) et psychologiques (pour le troupeau qui a survécu aux attaques). D’où le recours très fréquents des chiens de protection qui garantissent une protection fiable des ovins sur des secteurs où le loup est présent. Certains pourront évidemment pointer du doigt les « patous » ! Ces chiens de protection, les « Montagnes de Pyrénées », peuvent devenir agressifs et dangereux pour le troupeau comme pour les promeneurs qui passent à proximité. Si le chien n’a pas été correctement éduqué, oui, cela peut devenir un problème… mais comme n’importe quelle race de chien qui n’aurait pas été éduquée !

Des solutions innovantes apparaissent également : à l’été 2015, des foxlights ont été testées dans les Alpes de Hautes-Provence (04). Pour faire court, ces dispositifs, la nuit, s’allument et clignotent pour simuler une présence humaine autour du troupeau. Ces tests doivent être reconduits en 2016 pour tester sur le long terme de l’efficacité de ces lumières. Affaire à suivre donc car le loup, animal intelligent, peut s’habituer et s’adapter…

Un éleveur italien utilise, en plus de ces chiens de protection, des hautes barrières électrifiées pour éviter que le loup ne saute par-dessus. Evidemment, il a agrandi son enclos pour empêcher que le troupeau n’emporte les barrières, dans la panique, si l’animal venait à rôder autour de l’enclos.

Bien évidemment, ces solutions sont coûteuses en temps, en énergie et en argent. Il faut se donner les moyens de protéger son troupeau pour éviter des pertes considérables. Car un loup qui attaque crée un vent de panique chez les bêtes en pâturage. C’est pourquoi une attaque de loup, même si elle ne cible généralement qu’une ou deux proies, peut décimer une grande partie d’un troupeau (on connait tous le mythe des moutons de Panurge…).

Généralement, il est indispensable d’avoir un gardiennage (berger) même lorsqu’il n’y a pas la présence de grands prédateurs pour plusieurs raisons :

  • Une mortalité naturelle des ovins inférieure à des troupeaux non gardés
  • Une approche écologique des pâturages (baisse du risque de dégradation des pelouses d’alpages)
  • Des risques sanitaires pour le troupeau moins élevés : le berger peut prodiguer des soins rapides aux bêtes

Se faire entendre
Là où l’on ne peut qu’être en désaccord avec les éleveurs, ce sont les méthodes employées pour se faire entendre : par le saccage de locaux ou la séquestration ! Est-ce le seul moyen de revendiquer quelque chose ? Et qu’on ne nous sorte pas l’argument récurrent : « Les politiques ne nous écoutent pas ! ». Les associations de protection n’ont pas à subir les foudres d’agriculteurs en colère. Le « vivre ensemble » peut se transformer en « travailler ensemble » !

La violence n’entraîne jamais rien de bon. Non seulement, cela sert à stigmatiser un peu plus la profession agricole, mais cela intensifie encore un peu plus le clivage entre les associations de protection de l’environnement et les professions agricoles.

Cohabitation difficile : l’homme cherche à contrôler ce qui lui échappe ?
La cohabitation n’est pas une chose aisée. Ce qui peut retenir notre attention sur ce sujet c’est la question suivante : si nous ne sommes pas capables d’accepter la présence de loups et de vivre avec ce prédateur, comment pouvons-nous être capables de vivre en société ? Si nous n’acceptons pas notre environnement, et ne pouvons vivre en harmonie avec, comment vivre avec l’autre ?

Vivre ensemble, c’est accepter les contraintes de chacun. On ne peut pas aimer tout le monde, on n’est pas obligés d’aimer la façon de vivre d’untel ou d’untel. Est-ce pour autant que l’on s’autorise à abattre notre voisin de palier parce qu’il a encore laissé traîner sa poubelle sur son palier de porte ? « Grotesque » direz-vous ! Et vous avez raison. Dans une société, nous sommes tous différents, mais on s’adapte, on vit ensemble.  Il arrive que l’on se dispute, d’être en désaccord et de ne pas avoir le même point de vue sur un sujet. On n’est pas obligés d’aimer le mode de vie d’une personne ou la façon dont elle s’habille. Pour autant, on ne lui tire pas dessus. Que ce soit pour sa couleur de peau, sa religion, ses habitudes alimentaires, sa sexualité, etc. C’est pareil pour une meute de loups ! Le loup possède un mode de vie bien défini : il est carnivore, il vit en meute, il se reproduit une fois par an,… On peut cependant vivre sans l’abattre au moindre pas de travers. Après tout, le loup cherche seulement à s’alimenter… instinct de survie, voyez-vous ! Rien ne nous empêche de nous adapter sans pour autant que ce soit négatif. Le loup fera de même si certains espaces lui sont clôturés. Pas besoin de s’entre-tuer donc !

Le loup est un animal sauvage. C’est un fait bien établi, tout le monde sera d’accord sur ce point. Dès que quelque chose ne peut être contrôlé, l’homme cherche par tous les moyens à écarter ce qu’il perçoit comme une menace. Question de survie ? Nous sommes au XXIè siècle. Il est assez loin le temps où l’homme devait survivre avec du silex. Nous avons su développer, au fil des siècles, des « moyens de protection » contre la Nature (on dort dans des maisons pour éviter d’être mangé par les prédateurs, etc).

L’homme cherche toujours à dompter la Nature… mais nous faisons partis de cet ensemble, et nous ne pouvons pas tout contrôler ! La seule chose, finalement, dont nous sommes incapables de nous protéger… serait-ce de nous-même ?

Quoiqu’il en soit, ce problème reste épineux pour nombre de personnes en France. Lorsqu’on arrivera à s’entendre tous ensemble sur le « dossier Loup » sans se taper dessus, on pourra peut-être faire avancer les choses…


Pour aller plus loin

Le suivi des loups:

Sur les traces des prédateurs:

Associations de protection du loup:

  • CAP Loup (collectif des associations pour la protection du loup en France)
  • FERUS
  • ASPAS – Association pour la Protection des Animaux Sauvages
  • LPO

3 commentaires Ajoutez le vôtre

  1. Charlotte dit :

    Jolie mise en parallèle du vivre-ensemble et du vivre avec son environnement. On a oublié qu’on n’a pas le contrôle sur tout et que plutôt que de se battre sans cesse contre ce qui nous dérange, on devrait réapprendre a s’adapter. C’est le même soucis avec les aléas naturels qu’on essaye de supprimer jusqu’à ce qu’ils soient plus fort que nous et que nous ne soyons pas préparés.

    La question avec les loups peut être par contre: pourquoi réintégrer volontairement un « problème » qui avait disparu? Et effectivement c’est une bonne question. Ça peut effectivement paraitre être de la pure provocation pour les éleveurs. Du coup j’aimerais savoir quels sont les arguments en faveur de la réintégration des loups? Quel est l’intérêt de les réintégrer si ce n’est pour rendre justice a un animal injustement éliminé?

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  2. Strohmev dit :

    C’est ce que je me dis : vivre avec son environnement, c’est vivre avec la faune qui nous entoure et également avec les phénomènes comme les aléas. On ne peut pas supprimer le danger. En cours, les profs nous disaient toujours « Le risque 0 n’existe pas ! ». Et, pour moi, c’est devenu un peu une façon de pensée : on ne peut pas tout contrôler, on doit s’adapter à notre environnement, l’accepter et ne pas vouloir la dominer. Parce qu’il y aura toujours un moment où les choses se retourneront contre nous.

    Au sujet de la réintroduction des loups, en France, ils sont revenus naturellement (via le Parc du Mercantour) en raison des différentes lois de conservation en Europe (Italie, Suisse, etc). C’est ce qui est écrit sur le site du ministère de l’environnement : « La population de loups en France est dans un état de conservation favorable, alors que l’espèce n’a […] fait l’objet d’aucune opération de réintroduction ou de renforcement de population. Elle s’élève à environ 200 animaux. L’identification régulière de nouvelles zones de présence témoigne du fait que la population est toujours en phase de colonisation. » (http://www.developpement-durable.gouv.fr/Le-Loup.html)

    Ce n’est donc pas volontaire ou une provocation à l’encontre des agriculteurs. Le statut de protection et les conditions favorables ont rendu son expansion plus facile. Et j’ai envie de dire que c’est tant mieux. Cet animal fait également parti de la chaîne alimentaire. Et comme je l’ai rapidement mentionné dans l’article, il permet d’assurer un équilibre dans l’écosystème : il fait effet de régulateur épidémique (puisqu’il ne choisit que des proies « faciles » : malades, vieillies, sans défense), il supprime le surplus de population, il ne chasse que ce dont il a besoin.

    Il est urgent de repenser notre façon de faire face au loup. De s’adapter.

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    1. Charlotte dit :

      Alors si c’est une réintroduction naturelle, il n’y a plus a tergiverser! Effectivement on doit s’adapter. Éliminer tout ce qui nous dérange aura forcement des répercussions plus tard, avec un écosystème en déséquilibre.

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